Solidarités plurielles - Fondation Ostad ElahiFondation Ostad Elahi

Solidarités plurielles

par Paul Mathias

Résumé

Il paraît évident que les réseaux peuvent constituer un instrument alternatif de création, de gestion et d’expansion des réseaux de solidarité, tels que nous les connaissons par ailleurs dans les registres social, économique, humanitaire, etc. Pourquoi, cependant, ce qui paraît pouvoir être étudié au point de vue de la sociologie ou de l’anthropologie, devrait-il faire l’objet d’une approche proprement «philosophique» ? Y a-t-il une problématique proprement philosophique des pratiques réticulaires de solidarité?

Les pratiques de solidarité sont des pratiques de proximité, non certes géographique, mais pour le moins idéologiques (solidarités politiques) ou éthiques (solidarités médicale, économique, etc.). Elles requièrent donc la (re-)connaissance, même vague, d’un espace de communauté et donc de solidarité. Or les réseaux posent à cet égard un double problème :

  • la diversité des intérêts et des pratiques réticulaires dissipe ou dilue les frontières à partir desquelles des blocs de solidarité peuvent être identifiés, et rend impossible une continuité des pratiques de solidarité, auxquelles de substituent comme des accès temporaires de sympathie ;
  • l’Internet lui-même présente une structure absolument hétéroclite et dans les faits désolidarisée, dans la mesure où s’y affrontent par exemple, mais de manière emblématique, les intérêts des industries du divertissement et ceux de groupes activistes formés pour contrer les premiers.

L’Internet paraît dès lors faire droit à un nouveau modèle de la solidarité, en quelque sorte affranchi des normes idéales (éthiques) de la solidarité humaine, et articulé à des pratiques fortement individualistes, fragmentaires, alternatives et plurielles. Le paradoxe, c’est que l’individualisme rejoint ici des pratiques concrètes, notamment économiques, bénéficiant réellement et/ou concrètement aux groupes bénéficiaires de ces pratiques. Nous aurions donc à penser un nouveau modèle — «post-humaniste» ?— de solidarité.

On peut donc conclure que si l’Internet offre parfois le spectacle affligeant d’une «perte des valeurs», le spectacle n’est affligeant que pour l’œil qui ne sait pas percevoir et interpréter une nouvelle donne de la socialité, qui passe non plus par la reproduction de schémas éthiques traditionnels et «lourds», mais par l’exercice libre, concret, et efficace de jugements de valeurs qui engagent effectivement des individus dans des pratiques et des actions qui ont pour eux pleinement sens. Solidarité sans «l’Homme», sans doute, mais qui gagne à concerner «les hommes» dans leur concrète pluralité et hétérogénéité.

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